« Je ne suis pas prêt à sacrifier notre âme pour des gains à court terme »

Le président du PLR Thierry Burkart veut des finances fédérales saines, quoi qu’il lui en coûte politiquement. Il a notamment en vue l’aide au développement, Swisscom et les crèches, comme il le dit dans un entretien avec Katharina Fontana et David Biner.

Monsieur Burkart, au Parlement, on essaie de faire passer des dépenses plus élevées pour l’armée et pour la reconstruction de l’Ukraine en faisant fi du frein à l’endettement. Jusqu’à présent, aucun parlementaire du PLR n’a été impliqué dans ce marchandage. Cela doit vous rassurer.

La position du PLR est claire. Nous voulons être à la hauteur du mandat constitutionnel et renforcer la capacité de défense de la Suisse — c’est pourquoi nous nous engageons pour que l’armée reçoive un pour cent du produit intérieur brut à partir de 2030. Mais le respect du frein à l’endettement est également un mandat constitutionnel. . .

. . . qui ne compte visiblement plus pour le Centre.

Les parlementaires du Centre impliqués se révèlent être les escabeaux de Cédric Wermuth. La gauche veut démolir le frein à l’endettement avec un endettement de 15 milliards déguisé en « paquet », empêcher les économies toue en finançant l’aide à l’Ukraine en plus de l’argent pour l’aide au développement. Nous combattrons les deux. On ne résout pas les problèmes avec de nouvelles dettes.

Seriez-vous d’accord pour que les dépenses supplémentaires pour l’armée soient comptabilisées comme extraordinaires ?

Non, car les conditions juridiques ne sont pas remplies. C’est d’ailleurs ce que disent le Conseil fédéral et l’Office fédéral de la justice. Mais c’est beaucoup plus grave : ceux qui pensent que des dépenses supplémentaires pour quelque chose d’aussi important que la défense nationale ne sont possibles que par le biais d’impôts ou de dettes supplémentaires dénient à l’État sa capacité d’action. La politique doit être capable de redéfinir les priorités lorsque le monde change aussi fondamentalement que ces derniers temps.

Simon Michel, conseiller national PLR et CEO d’Ypsomed, propose que l’armée soit provisoirement financée par un impôt sur les entreprises. Pourquoi vous opposez-vous catégoriquement à cette idée ?

Je comprends sa perspective et je partage son souhait de renforcer l’armée. Mon point de vue est le suivant : une fois introduits, les impôts ne peuvent que très difficilement être supprimés. C’est ce qui s’est passé pour la valeur locative, introduite en 1934 par le droit d’urgence en tant que taxe fédérale de crise. Il en va de même pour l’impôt fédéral direct, qui était à l’origine un impôt limité à la période de la Seconde Guerre mondiale. Nous payons encore les deux aujourd’hui. Les nouveaux impôts et taxes pèsent sur les PME et la classe moyenne. Ils doivent rester le dernier recours, lorsque toutes les autres possibilités ont été épuisées. Concernant la question : dans le contexte actuel, affaiblir unilatéralement la force économique uniquement parce que la politique ne fait pas ses devoirs serait contre-productif. Les impôts sur les entreprises ne permettent pas de résoudre durablement les problèmes de l’armée.

Plus d’argent pour l’armée tout en respectant le frein à l’endettement : comment cela peut-il être possible ?

Lorsqu’il s’agit de l’aide au développement, on met toujours plus d’argent à disposition. Ceux qui veulent faire preuve de modération sont diabolisés. En revanche, lorsqu’il s’agit de l’armée, il convient de préciser que les coupes se sont succédé ces dernières années. Nous constatons aujourd’hui que les risques sécuritaires s’aggravent et que la Suisse doit elle aussi renforcer sa protection. Cela doit valoir la peine de faire des économies dans d’autres domaines. Nous devrions également nous attaquer aux innombrables subventions et chercher un potentiel d’économies dans le personnel de la Confédération. Nos propositions sont toutefois combattues par le centre gauche.

Pour faire des économies, vous avez besoin d’une majorité que vous n’avez pas. De plus, 2030 est déjà proche. Aura-t-on assez de temps ?

La ministre des Finances Karin Keller-Sutter a mis en place un groupe de travail qui examinera d’ici l’été le potentiel d’économies dans les subventions fédérales. Et nous aussi, nous présenterons bientôt nos propositions concrètes, sans œillères. Pourquoi n’examinons-nous pas la privatisation de Swisscom ?

Vous souhaitez que la Confédération vende Swisscom ?

Nous devrions en tout cas l’examiner. Le service public de Swisscom ne représente qu’une petite partie que l’on pourrait maintenir par des accords de prestations. Ce qui est souvent passé sous silence est que plus de la moitié des quelque 85 milliards de francs dépensés chaque année par la Confédération sont des subventions. C’est là que nous devons intervenir. La politique se simplifie beaucoup trop la tâche lorsqu’elle affirme d’emblée qu’il n’y a pas de potentiel d’économie. Bien sûr, le temps presse. Lors du dernier débat sur le budget en décembre, le centre gauche a décidé de ne rééquiper l’armée que pour 2035 au lieu de 2030. Cela a réduit la pression en matière d’économies et de solutions.

Karin Keller-Sutter était également favorable à 2035. Et la ministre de la Défense Viola Amherd tente pour l’instant surtout d’entrer dans l’histoire en tant que « colombe de la paix » du Bürgenstock plutôt qu’en tant que sauveuse passionnée de l’armée suisse. Vos souhaits, Monsieur Burkart, échouent déjà au Conseil fédéral.

Les conflits d’objectifs font partie de la politique. . .

. . . c’est vrai, mais n’avez-vous pas de plan B pour débloquer la situation ? N’avez-vous pas de marché de dupes en réserve ?

Nous n’avons pas besoin d’un marché de dupes, mais d’un coup de crayon rouge. Il y a tant de subventions dont il faut revoir le sens et l’objectif — rien que la promotion de la culture, qui représente aujourd’hui environ 250 millions de francs par an, a énormément augmenté, mais elle devrait être du ressort des cantons. Dans le domaine des dépenses liées également, des gains d’efficacité sont possibles, comme dans toute entreprise. Mais pour l’instant, le principe qui prévaut semble être que tout ce qui a été décidé à un moment donné est considéré comme intouchable. Et les nouvelles dépenses devraient alors être financées uniquement par des impôts et des taxes supplémentaires à la charge de la classe moyenne et des PME ? Pas avec nous.

Si l’armée est alimentée à partir de 2030 par un pour cent du PIB, il manquera environ 5,7 milliards de francs dans la caisse fédérale. Est-il réaliste d’économiser un tel montant ?

Peut-être 5,5 milliards à partir de 2031, ce ne sont que des valeurs cibles. Ce que je veux dire, c’est qu’il ne faut plus parler de nouvelles dépenses et augmenter les impôts de manière inconsidérée sans avoir examiné avant les dépenses existantes et d’en avoir discuté.

Iriez-vous jusqu’à mettre les cantons devant leurs responsabilités ? Par exemple en leur accordant moins d’argent au titre de la péréquation financière ?

On peut aussi en parler, bien sûr. Sous les conseillers fédéraux Kaspar Villiger et Hans-Rudolf Merz, les tâches entre la Confédération et les cantons ont été revues et redistribuées. Je suis sûr que la conseillère fédérale Keller-Sutter s’occupera également de ce sujet. Nous avons connu de très bons moments et toute une génération de politiciens a dépensé l’argent généreusement. Pendant des décennies, une majorité du Parlement a eu le sentiment que tout était possible. Cette époque est révolue. Il s’agit maintenant de fixer les bonnes priorités pour notre pays.

Il suffit d’une guerre en Europe, où l’on prétend défendre la liberté de chacun d’entre nous, pour que les élus de droite se mettent d’accord sur le financement de l’armée.

Après l’escalade de la guerre en Ukraine, la majorité de droite du Parlement avait décidé d’augmenter les dépenses de l’armée à un pour cent du PIB d’ici 2030. En décembre dernier, soit moins de deux ans après l’invasion des Russes, le Centre a déjà fait marche arrière. Au lieu de cela, il tente maintenant sa chance avec la gauche et ce marchandage, après avoir fait en sorte, également avec la gauche, dans le domaine de la politique sociale, que les dépenses de l’État aient massivement augmenté.

Le frein à l’endettement peut-il encore être sauvé contre ce travail de sape du centre gauche ?

Je travaille beaucoup avec certains élus du Centre qui continuent de considérer le frein à l’endettement comme la base d’une politique financière solide. J’espère que ces personnes s’imposeront au sein du Centre, au lieu de se laisser embarquer par le PS. Il en va de la solidité typiquement suisse de la politique financière.

L’« Aargauer Zeitung » a écrit en substance que le PLR que vous dirigez est le seul parti au monde qui se prononce encore pour l’épargne plutôt que pour la dépense. Celui qui économise en politique se rend impopulaire. Ce ne sont pas de bonnes conditions pour regagner les voix perdues.

Je reste fermement convaincu qu’une gestion prudente des finances est décisive pour la prospérité de ce pays. Ce n’est pas parce que ces valeurs centrales sont oubliées qu’elles ne sont plus correctes. Je ne suis pas prêt à sacrifier notre âme au profit d’une politique clientéliste et de gains à court terme, mettant ainsi en péril l’avenir de notre pays.

Ces dernières années, le PLR a lui aussi largement participé au développement de l’État, par exemple en ce qui concerne le financement des crèches par la Confédération. La nouvelle loi sur les crèches est en suspens au Parlement, qui prévoit d’augmenter les dépenses de la Confédération à au moins 700 millions de francs par an. Le PLR est-il encore disponible pour cela ?

Le PLR soutient l’accueil extrafamilial des enfants, nous avons soutenu le financement initial de la Confédération pendant de nombreuses années. Mais la responsabilité incombe désormais aux cantons. La politique familiale est de leur ressort. On ne peut pas tout mettre sur le dos de la Confédération. Nous devons avoir le courage de dire non, même si c’est impopulaire.

Le PLR ne soutiendra donc pas la loi sur les crèches ?

Il existe une proposition alternative qui prévoit un financement par les cotisations des employeurs et éventuellement des employés. Cette solution serait meilleure et nous en discuterons certainement de manière plus approfondie. Mais pour moi personnellement, il est clair que le financement de la garde des enfants est du ressort des cantons.

La 13e rente AVS coûte quatre à cinq milliards par an. Votre parti dit catégoriquement non à la proposition du Conseil fédéral d’augmenter les cotisations salariales ou la TVA pour la financer. Le PS vous accuse de mépriser ouvertement la volonté du peuple.

L’agitation du PS est artificielle. Il ne fait aucun doute que la 13e rente AVS sera versée à partir de 2026. Mais l’initiative a laissé en suspens la question du financement, qui doit donc faire l’objet d’une discussion politique. Ici aussi, la même chose que pour l’armée s’applique : nous ne sommes pas prêts à parler simplement d’impôts et de taxes supplémentaires au détriment de la classe moyenne, avant que l’on n’examine sérieusement où l’on peut faire des économies. Nous soutenons le Conseil fédéral dans la préparation d’une réforme structurelle de l’AVS. L’AVS a besoin d’un état des lieux complet et non d’un coup d’éclat. La commission compétente du Conseil national partage cette position.

La 13e rente AVS sera versée à partir de 2026, l’AVS tombera dans le rouge en un clin d’œil sans financement supplémentaire.

Nous pouvons financer les dépenses supplémentaires pendant une période limitée à la charge du fonds AVS. Nous devons prendre ce temps afin de pouvoir élaborer une solution durable, responsable et honnête. Nous devons examiner l’AVS dans son ensemble avant de prendre des décisions.

Vous attendez d’une telle analyse de l’AVS qu’elle prévoie également le relèvement de l’âge de la retraite ?

C’est très clair. Nous ne pourrons pas éviter à long terme de relever l’âge de la retraite. La démographie nous y contraint. Les pays voisins ont déjà fait ce pas.

En mars, le peuple a toutefois dit non à l’initiative des Jeunes Libéraux-Radicaux pour un âge de la retraite plus élevé.

C’est vrai, mais c’est surtout l’automatisme prévu par l’initiative, c’est-à-dire le comment et non le quoi, qui a été critiqué. Il faut un système flexible, par exemple le passage à un modèle de temps de travail à vie. On peut attendre de ceux qui, en raison de leur longue formation, n’entrent que tardivement dans le monde du travail qu’ils travaillent plus longtemps que les personnes ayant suivi un apprentissage professionnel.

Est-ce que l’on sent ici une nouvelle liberté du PLR, selon la devise : « Nous n’avons pas voulu la 13e rente AVS et ne sommes donc pas responsables ? »

Nous sommes une force politique constructive, avec le PLR on peut trouver des solutions et des majorités. Mais pas de solutions au détriment des habitants de ce pays. La gauche parle de pouvoir d’achat, mais ponctionne toujours plus sur les salaires, les impôts et les taxes. Nous ne tendons pas la main à cela.

Quels sont vos calculs si le peuple suisse approuve en juin l’initiative du PS pour l’allègement des primes ?

Selon le Conseil fédéral, l’initiative du PS entraînerait des coûts annuels supplémentaires pouvant atteindre 11,7 milliards de francs en 2030, dont 9 milliards à la charge de la Confédération. Cela signifierait des hausses d’impôts massives. Concrètement, si l’initiative est acceptée, cela coûtera environ 1200 francs supplémentaires par an au ménage moyen. À cela s’ajoutent les hausses d’impôts nécessaires dans la plupart des cantons. L’argent qui est distribué doit en effet être préalablement retiré à une majorité. Le contre-projet, en revanche, offre une solution mesurée qui encourage une utilisation économe des prestations de santé.

Comment évaluez-vous les chances de l’initiative ?

La demande est très bien accueillie, mais un non est tout à fait possible. Notre campagne contre l’initiative ne fait que commencer. Je suis convaincu que l’économie s’engagera encore plus fortement contre elle — car il s’agit ici de la place économique suisse. En raison de l’augmentation inévitable des impôts, nous serions encore quelque part dans la moyenne européenne.

Les associations économiques s’engagent dans la campagne de l’UE et semblent avoir une caisse bien remplie.

Je ne connais pas le budget (rires), nous n’en sommes qu’au début des négociations.

Il y a trois ans, elles se sont opposées à l’accord-cadre de l’UE et ont surtout critiqué la perte de souveraineté et le rôle de la Cour de justice européenne. Le nouveau projet ne prévoit pas de modifications importantes à cet égard.

Il ne faut pas tromper les gens : le nouvel accord comportera aussi des inconvénients pour la Suisse. C’est toujours le cas avec un traité. L’important, c’est que les avantages l’emporteront. C’est pourquoi nous procéderons à une évaluation globale une fois les négociations conclues. Je pars du principe que la Suisse négociera bien et que le résultat apportera à la Suisse la stabilité importante dans ses relations avec l’UE. Mais en toute honnêteté, les effets ne pourront être pleinement évalués qu’après une certaine période de mise en œuvre. C’est pourquoi mon avis personnel, qui n’a pas encore fait l’objet d’un accord avec le parti, est que le Conseil fédéral devrait inclure une clause permettant au peuple suisse de se prononcer à nouveau sur l’accord après quelques années par référendum — comme on l’avait fait pour les Bilatérales I.

Quel est exactement l’intérêt de cette clause ?

Une telle clause crée la confiance pour le vote populaire de principe sur l’accord, car le peuple aurait ainsi la possibilité d’intervenir pour corriger le tir après sept ans par exemple.

Est-ce que ce serait si simple ? Une fois que la Suisse aura dit oui à l’accord avec l’UE, elle aura du mal à en sortir.

Aucun traité n’est éternel, pas même un accord avec l’UE. Un simple référendum facultatif est une possibilité à bas seuil, afin que les électeurs puissent procéder à une réévaluation après un certain temps.

La question de l’UE risque d’être une épreuve de vérité pour le PLR. Ne serait-il pas plus simple pour le parti que son président prenne les devants avec une position claire ?

Ma position est claire comme de l’eau de roche : tant que l’on ne sait pas quel sera le contenu final de l’accord et quelles mesures d’accompagnement seront prises dans le pays, je ne peux pas, en tant que président du parti, prendre position sur une boîte noire. Si les avantages de l’accord pour la Suisse l’emportent, je le soutiendrai avec un engagement total. Mais il est clair que si le prix à payer en politique intérieure est l’abandon de notre marché du travail libéral, comme le demandent les syndicats, nous ne pourrons pas dire oui. En cas de concessions trop importantes dans ce domaine, le prix serait trop élevé. Mais c’est une problématique bien connue : comme l’UDC ne bouge jamais, la Suisse devient plus à gauche en faisant des compromis.

Vous voulez laisser la base du PLR décider de la position du PLR sur l’accord avec l’UE. Dans quelle mesure cette décision doit-elle être contraignante pour le groupe parlementaire fédéral ?

Le groupe parlementaire analysera le résultat des négociations devant la base du PLR et fera valoir sa position dans la discussion. La décision de la base devrait d’autant plus être respectée. Bien entendu, personne ne doit renier ses convictions, mais il devrait faire preuve de retenue dans son engagement personnel en faveur de la position opposée.