Discours Ferghane Azihari Journée du PLR Berthoud 22.10.2022

Seule la version prononcée fait foi

 

Bonjour à toutes et à tous,

Tout d’abord, je tiens à remercier les organisateurs de cet événement et en particulier Philippe Nantermod, pour m’avoir invité à parler parmi vous. C’est un honneur pour le disciple enthousiaste de la tradition libérale que je suis d’être accueilli dans ce beau pays qu’est la Suisse, le plus libéral d’Europe, l’un des plus libéraux du monde et qui, par une étrange coïncidence, se trouve être le plus prospère du vieux continent, malgré une géographie que d’aucuns qualifieraient d’ingrate. 

Décidément, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis que Napoléon a prétendu vous offrir ses Lumières et ses institutions. Encore que vous êtes parvenus à déjouer ses projets centralisateurs. Chose étonnante et exceptionnelle, en effet, vous l’aviez à l’époque persuadé que votre système politique était, je le cite, “conforme au génie des lieux” à défaut de “soutenir l’examen de la raison”. Venant de la part de l’Empereur, il faut le prendre comme un compliment.

Bien sûr, la prétendue irrationnalité de votre régime est démentie par l’expérience. Son succès est imputable aux raisons identifiées par des penseurs appartenant à des courants de pensée multiples et variés. De Benjamin Constant à Proudhon, en passant par Rousseau et Tocqueville, on n’a jamais trop insisté sur le fait que les états décentralisés à taille humaine tendent à être plus disciplinés que les empires et les nations démesurés. Les premiers doivent en effet redoubler d’effort, d’attractivité et de respect à l’égard des libertés et des propriétés de leurs citoyens s’ils veulent attirer, retenir, former et multiplier les talents ainsi que les capitaux à l’origine de l’élévation du genre humain. 

Là a d’ailleurs longtemps résidé la richesse de la civilisation européenne qui, par un heureux hasard, a toujours échoué à se constituer en un empire unitaire depuis la chute de Rome. Ce qui n’a pas empêché les Européens de partager une civilisation commune, unie par d’intenses liens commerciaux, scientifiques, artistiques et spirituels. Unité culturelle et concurrence politique : telle est la recette du miracle européen. C’est en ce sens que la Suisse a beau ne pas appartenir à l’UE, elle est beaucoup plus européenne dans son esprit que ne le sont ses voisins lorsqu’ils fantasment sur un gouvernement centralisé qui présente plus de risques que d’avantages pour notre civilisation.

En effet, deux siècles après la révolution française, le constat est sans appel. Ce n’est pas un hasard si l’on voit plus de Français migrer vers la Suisse que de Suisses migrer vers la France, à tel point que je me demande parfois si mon pays ne gagnerait pas, cette fois-ci, à être annexé par le votre. Mais ce n’est là qu’une petite pensée personnelle. Tout cela reste bien évidemment entre nous…

Croyez-moi quand je vous dis que pas un jour ne passe sans que je fasse l’éloge de votre pays dans le mien. C’est la raison pour laquelle la Suisse doit rester la plus fidèle possible à la tradition libérale à l’origine de sa prospérité exemplaire tout en nourrissant l’ambition de l’amplifier à l’infini. Nous vivons en effet en France et en Occident une période d’incertitude où la tentation de la démagogie, du populisme et de l’irresponsabilité n’épargne aucune formation politique. 

Dans cette période incertaine, où le désir de flatter les bas instincts des citoyens l’emporte sur le bien commun, l’Europe a besoin d’un havre de prospérité auquel on pourra toujours se référer et prendre pour modèle, si toutefois l’envie nous prend d’être humbles et d’apprendre des régimes politiques les plus accomplis. 

Dans l’intérêt de votre nation comme dans l’intérêt de notre civilisation, vous devrez lutter contre vos propres courants démagogiques mais aussi contre le colonialisme juridique des organisations multilatérales comme l’Union européenne ou l’OCDE qui, à travers le vocable pernicieux d’harmonisation, ne rêvent que d’effacer votre richesse singulière pour mieux dissimuler la médiocrité et l’incurie de votre voisinage.

Mon propos peut paraître sévère. Mais le fait que vous soyez insuffisamment cités en Europe comme un pays modèle est en soi révélateur de la relation hypocrite que nous entrenons avec la prospérité. 

Pour reprendre l’exemple de mon pays, la France est en effet cette nation curieuse qui n’aime les pauvres qu’à la condition qu’ils le restent. Dès lors que les indigents s’affranchissent de leur condition, ils rejoignent le camp honni de la bourgeoisie. La France est ce curieux pays où les forces de gauche épuisent leur énergie à faire l’apologie des régimes les plus détestables outre-Atlantique, dans les lointaines contrées d’Amérique latine, où les classes laborieuses dépérissent, tout en dédaignant le pays limitrophe vers lequel migrent les gens industrieux en quête de prospérité. 

Faut-il y voir un effet d’ignorance ? Je ne le crois pas. Si le modèle suisse est savamment ignoré, c’est précisément parce que chacun sait que votre prospérité doit bien plus à Benjamin Constant qu’à Marx et Piketty. Là réside le paradoxe de la tradition libérale : notre philosophie est redoutée par nos adversaires non en raison de ses inconvénients supposés mais précisément en raison de ses exploits. 

Trente-ans après la chute du mur de Berlin, beaucoup trop de courants n’ont en effet jamais digéré la Fin de l’Histoire dépeinte par Francis Fukuyama. Loin de théoriser la fin des événements tragiques comme le soutiennent ceux qui ne l’ont pas lu, Fukuyama ne fait qu’observer la supériorité indépassable du modèle libéral comparé aux alternatives concurrentes pour embellir l’existence humaine, lesquelles ont toutes été explorées en vain.

Alors, bien sûr, il y aura toujours des sectes et des régimes autoritaires et kleptocratiques, se réclamant du socialisme, du slavophilisme, du protectionnisme, de l’islamisme et autres -ismes défectueux. Seulement, ces courants échoueront toujours à opposer aux sociétés ouvertes des régimes plus épanouissants pour le genre humain. Ils en sont, du reste, parfaitement conscients. Nul doute que l’agression russe de l’Ukraine est bien plus un aveu de faiblesse qu’une démonstration de force. Elle est l’acte désespéré d’un régime qui se sait incapable de séduire le pays qui fut son berceau historique et qui, à l’instar de nombreux pays d’Europe centrale et orientale, préfère se tourner vers l’Occident décadent que vers une Russie post-soviétique si triomphante que ses ressortissants fuient vers l’Ouest depuis des siècles quand on peine à déceler des mouvements de population inverses. 

La réalité des mouvements illibéraux est qu’ils n’ont jamais pardonné aux sociétés bourgeoises d’avoir bâti leur succès sur la faculté reconnue à chacun de poursuivre ses rêves et ses ambitions personnelles sous le règne du Droit, c’est-à-dire sous le règne de l’égalité, du respect la propriété de la responsabilité. C’est là une chose insupportable aux yeux des envieux, des kleptocrates et des obscurantistes qui se désolent de voir l’humanité prospérer grâce à des penchants aussi terribles quand ils eussent préféré la voir languir sous le poids de la résignation, de la haine de soi, de la tyrannie ou de la superstition. 

Ces mouvances passent ainsi à côté de la beauté des sociétés libérales qui, pour peu qu’elles parviennent à sanctionner les fraudes, les agressions, et les empiètements en tous genres, instaurent un ordre social à l’intérieur duquel la manière la plus certaine d’assouvir son égoïsme est d’élever la condition de ses semblables. 

La question environnementale, ô combien décisive pour l’avenir de notre espèce, n’enlève rien à la supériorité morale et pratique de notre modèle de civilisation. Nous ne conseillerons jamais assez à ceux qui sont tentés par le retour rousseauiste à l’état de nature d’ouvrir un manuel d’histoire et de géographie au moins une fois dans leur vie. 

Ils comprendraient que les sociétés affranchies du matérialisme bourgeois n’entretenaient aucune relation harmonieuse avec leur environnement. Ils s’apercevraient que les pollutions étaient plus meurtières dans les temps préindustriels où, faute d’électricité pour nous éclairer, nous chauffer et cuisiner ; où faute de système sophistiqué pour assainir et acheminer une eau potable ; où faute d’industrie spécialisée dans le traitement des déchets ; nos foyers, nos corps, nos rues et nos cours d’eau étaient en proie aux immondices et aux substances les plus toxiques et dangereuses. 

Encore aujourd’hui, c’est dans les nations faiblement industrialisées que la pollution fait le plus de victimes. Qui de Berne ou de Caracas a l’air le plus pur ? Entre le Rhin à Bâle et le Gange en Inde, lequel de ces fleuves se prête le plus à une baignade sereine ? Les réponses à ces questions sont évidentes. 

Tout comme le fait qu’on affronte plus aisément les épisodes de sécheresse en Israël où l’on a la capacité de dessaler l’eau de mer qu’à Madagascar ; que l’on craint moins la montée des eaux aux Pays-Bas où l’on recourt à des systèmes de protection côtière sophistiqués qu’au Bangladesh ; qu’on est mieux armé pour décarboner l’économie en France - rendons cette fois-ci hommage à mon pays - quand on a les moyens de s’offrir une filière nucléaire moderne, qu’en Mongolie où la pauvreté ne laisse que le bon vieux charbon pour assouvir ses besoins. 

Autrement dit, les sociétés libérales recèlent encore de nombreuses promesses. À nous de les faire vivre pour accomplir la prophétie de Condorcet d’une humanité capable de progresser sans aucune autre limite que les bornes de l’univers. 

Je vous remercie.