Frontex, une agence indispensable

L'agence européenne Frontex joue un rôle important dans la gestion de la question migratoire. Le 15 mai, les Suisses voteront sur l'augmentation de la contribution suisse à Frontex. Le conseiller aux Etats Damian Müller explique pourquoi un refus de cette contribution aggraverait encore la situation en Méditerranée.

Dans Le Temps du 12 janvier 2022, la Conseillère aux Etats Lisa Mazzone (Les Vert.e.s) et une personne engagée sur les navires de sauvetage en mer Méditerranée s’expriment contre un renforcement de l’agence européenne Frontex. Pour exprimer leur aversion envers elle, les auteures invoquent l’exemple des traversées de migrants de Libye vers l’Europe. Elles omettent de préciser que Frontex n’est pas un acteur majeur des opérations dans cette région de la Méditerranée. En effet, des milliers d’agents Frontex sont détachés chaque mois en Grèce, en Italie, en Espagne (y compris sur les îles Canaries), à Chypre et dans la région des Balkans, pour aider l’Union européenne à relever les défis qui se posent à ses frontières extérieures.

Peu importe, les horreurs décrites en provenance de Libye reflètent une réalité tant de fois médiatisées. La multiplication de drames humains qui se déroulent à quelques centaines de kilomètres du continent européen ne nous mithridatise pas.

Toutefois, s’opposer à Frontex sans proposer d’alternative ne résoudra pas le problème et, cela n’est pas responsable politiquement. N’est-ce pas rajouter de l’huile sur le feu ? Avec plus de 600'000 migrants présents en Libye, un libre passage vers l’Europe engendrerait un effet boule de neige et attireraient encore plus de migrants économiques vers la Libye.

En ce qui concerne la Suisse, l’ancien Secrétaire d’Etat aux migration, Mario Gattiker, s’attend à une augmentation des demandes d’asile en 2022 en raison, notamment, de l’instabilité politique en Ethiopie, en Guinée, au Mali, au Tchad et en Libye justement. Selon le Ministère italien de l’Intérieur, 67’040 migrants ont débarqué en 2021 en Italie, contre 34’154 en 2020, plus que le double.

Ainsi, Frontex déploie un soutien aérien (notamment par le biais de drones) qui permet de repérer les embarcations en détresse mais également les activités illicites transnationales, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, qui se trament dans cette partie de la Méditerranée. Les zones de compétences sont claires. Ainsi, les embarcations de migrants se situant dans la zone de sauvetage libyenne (zone SAR) doivent être signalées aux garde-côtes libyens et non à l’Italie ou à Malte, par exemple.

De plus, les garde-côtes libyens reçoivent un renforcement de leurs capacités non seulement de l’Italie mais également de l’Union Européenne, soutien assorti du respect des standards internationaux. Il est illusoire de penser qu’ils seront respectés du jour au lendemain. Cependant, il faut bien commencer un jour et, comme le disait l’ancien Chancelier allemand Gerhard Schröder, « mieux vaut faire des petits pas dans la bonne direction que des grands dans la mauvaise direction ».

Alors, quelles sont les solutions ?
Tout d’abord, il est essentiel que la situation politique en Libye se stabilise afin que la migration puisse être gérée de manière plus professionnelle et en respectant les standards des droits de l’homme. Le Chef du DFAE et actuel Président de la Confédération, Ignazio Cassis, s’y emploie. Ainsi, il participe régulièrement aux conférences internationales sur la Libye. De plus, Genève accueille les discussions du processus de paix sur la Libye.

Depuis octobre 2020, l’ONU a annoncé un cessez-le-feu en Libye qui perdure. Il est ainsi erroné de prétendre que « les conflits armés sont presque ininterrompus depuis 2011 ».

Quant aux organisations humanitaires, sans vouloir jeter l’anathème à celles qui respectent les lois en vigueur, certaines sont accusées de coopérer avec les passeurs. Rappelons que le Directeur de Frontex a critiqué en 2017 les ONG venant en aide aux migrants au large de la Libye. Il estime qu'elles encouragent le trafic d'êtres humains et coopèrent mal avec la police. Le 2 janvier 2022, dans la Sonntagszeitung, le journaliste Kurt Pelda explique comment certaines ONG ont coopéré avec les passeurs de migrants en Libye. Ce genre de pratiques n’est pas acceptable et doit être condamné. En outre, une grande partie des migrants qui arrivent en Italie sur des navires de sauvetage n’ont pas besoin de protection internationale, car ils sont des migrants économiques provenant des pays d’Afrique de l’Ouest.

Ne pas donner les moyens à Frontex de renforcer la surveillance de la mer Méditerranée centrale expose l’Europe, et indirectement la Suisse, à une explosion des traversées irrégulières en mer Méditerranée, avec, de facto, une augmentation des noyades de migrants. En réduisant fortement le nombre des traversées, le nombre de morts en mer Méditerranée diminuera proportionnellement. Ainsi, l’augmentation de la contribution financière à Frontex s’avère indispensable à un minimum de contrôle des flux migratoires en mer Méditerranée. Elle devrait être accompagnée par un renforcement de l’aide au développement dans les pays d’origine des migrants et une meilleure gestion des frontières par les pays voisins de la Libye.

Damian Müller, Conseiller aux Etats (LU)
 

Ce texte a été publié pour la première fois dans la section « opinions » du journal Le Temps, le 19 janvier 2022.

Damian Müller