Un Conseil fédéral boiteux

Certains jubilent et parlent du courage du Conseil fédéral. Aux yeux des consternés, dont nous sommes, cela sonne comme un trait d’ironie. 

Évidemment, au point de friture sur la ligne où on en était arrivé, la décision gouvernementale peut apparaître comme étant une clarification nécessaire. Mais si l’on met ce coup d’éclat en perspective, cela donne la vraie image: celle d’un Gouvernement suisse qui ne sait pas tenir le cap et qui tortille sa voile dans tous les sens par peur du peuple. Rappelons en effet que la discussion avec Bruxelles sur un Accord cadre dure depuis des années. Même si , au début, le projet était plus simple qu’il n’est devenu , la Suisse, tout du long,  semblait  jouer le jeu . Certes, à la fin , la Suisse n’avait pas obtenu satisfaction sur tout. Mais, rappelons-le  toujours, sur chaque développement d’un traité dans le cadre général de procédure adopté, la Suisse serait restée  libre de dire non au travers de ses instances de démocratie ( Conseil fédéral, Parlement, Peuple). 

Avant de revenir d’un mot sur les risques que fair courir cette décision, insistons sur ce flottement , ce manque de cohérence d’un pays qui négocie durant des années, donne à Bruxelles l’impression constante qu’il veut aboutir en dépit de quelques points d’accrochage, et qui finit par tirer la prise en déclarant qu’il faut repartir autrement , d’un meilleur pied. Notre Conseil fédéral pense-t-il vraiment que son attitude va inspirer crédibilité, confiance à nos partenaires européens. Un Gouvernement qui efface, en quelque sorte, le chemin diplomatique parcouru et des années de négociations, est-il encore un partenaire fiable? 

La vérité. C’est que le Conseil fédéral,  lui même divisé dans sa composition politique ici paralysante, a senti des oppositions bruyantes sur le front intérieur et qu’il a eu peur: peur de l’UDC, peur des syndicats qui ont joué la carte d’un populisme social, peur du peuple. Au lieu d’être un leader d’opinion montrant l’enjeu, il a amplifié la crainte d’un refus populaire: comme en 1992 sur l’Espace économique européen. 

Ceux qui jubilent aujourd’hui rappellent les Cassandre de ce temps. Or, ironisent-ils, les dégâts annoncés pour l’économie et donc pour l’emploi n’ont pas eu lieu. C’est oublier des éléments clés. Après 1992, la progression de notre produit intérieur brut, donc de notre richesse nationale, a subi un arrêt sévère; l’un des plus marquants en comparaison avec nos voisins. Mais Bruxelles et nos partenaires européens ont pris acte que le Conseil fédéral s’était engagé et que c’était le peuple qui l’avait désavoué. Il en était résulté une ouverture d’esprit positive ayant permis les deux blocs successifs de négociations bilatérales. Ainsi furent conclus nombre d’accords très profitables à la Suisse. Or, cette fois, c’est le Gouvernement suisse qui claque la porte. Le ressenti à Bruxelles et dans les pays membres ne peut plus conduire à la même compréhension. Nos Conseillers fédéraux disent qu’il faut tout de suite repartir sur de nouvelles négociations. Trop facile de s’en tirer ainsi pour faire bonne figure. Posons la question: si nous étions à la Commission de Bruxelles ou dans l’un des gouvernements des pays membres, aurions-nous envie de tendre rapidement la main à Berne et de retrouver, comme si de rien n’était, le temps et l’effort de négocier autrement, autre chose? Et que le Conseil fédéral ne vienne pas nous dire demain que sa bonne volonté n’a pas eu la réponse souhaitée, qu’il le regrette etc... , alors qu’il donnera l’impression d’un personnage ambigu qui avance avec une main tendue et l’autre dans le dos. 

Ou nous nous trompons fort, —et sincèrement nous le souhaitons—, ou la Suisse va subir des contre coups. Par exemple: suspension de la reconnaissance mutuelle des technologies médicales (1400 entreprises et 114 millions de francs de frais administratifs afin de surmonter cet obstacle), risque de suspension de l’Accord sur les machines outils concernant des entreprises dont la majorité des exportation va à l’UE. L’industrie des machines, des équipement électriques et des métaux ( 32.000 emplois) vient d’exprimer son inquiétude. Discrimination sur les opérations boursières. 

Et puis, les inquiétudes montent aussi dans les milieux des universités, de la recherche. Allons-nous être en partie déconnectés.  Il va bien falloir limiter les dégâts et renforcer des élans positifs. Améliorer encore, dans les structures et le fonctionnement, la capacité générale de notre économie. Etre plus dynamiques encore sur l’ensemble des marchés mondiaux. Enfin, oui, en trouvant des appuis comme en Allemagne notamment, essayer de renouer le dialogue , plaider pour la sauvegarde d’intérêts communs afin de renégocier dans pas trop longtemps des accords particuliers dans des domaines importants. 

Drôle de façon de défendre la souveraineté. La vraie défense ne consiste pas à se raidir dans des positions souverainistes desservant sa patrie mais elle consiste à trouver, en pleine réflexion autonome, le degré de relation qui la sert le mieux.    A cet égard, il s’agit d’un auto-goal. 

Voilà, le vin est tiré, il sent le bouchon mais il faut le boire. Ce Conseil fédéral aura marqué une étape de l’histoire suisse; mais lorsque l’on racontera les faits, il ne siégera pas au panthéon. Les ténors de l’UDC et les hauts responsables syndicaux non plus. Toutefois, après les regrets, la marche en avant doit reprendre; même si elle sera d’abord celle d’un boiteux.  

Jacques-Simon Eggly

Jacques-Simon Eggly