Prêcher la moralité, tout en agissant de façon irrespectueuse

Dans la campagne pour l’initiative «entreprises responsables», il est si souvent brandi l’argument de la moralité et du respect, les opposants à l’initiative amalgamés à des personnes sans cœur et sans valeurs, avides d’argent et payés par les multinationales… Et pourtant, les initiants utilisent des méthodes de campagne qui se moquent de l’honnêteté et du respect qui devraient prévaloir dans une campagne politique. C’est un peu comme l’initiative elle-même, en fait.

L’initiative «entreprises responsables» aborde un sujet important qui nous concerne toutes et tous, à savoir le comportement correct et respectueux envers les autres. Il est nécessaire d’avoir la possibilité de commercer et d’être de bons négociateurs afin de réussir. Mais nous attendons en retour d’être traités avec respect et honnêteté. Cela ne vaut pas seulement dans notre vie quotidienne, mais c’est aussi ce qui fait de la Suisse le siège de nombreuses organisations internationales qui s’engagent activement pour que les pays en développement et les populations défavorisées puissent se défendre contre les traitements injustes. Nous sommes fiers de cette tradition qui nous tient fortement à cœur.  

Il n’est donc pas étonnant que personne ne remette en cause les exigences de base de l’initiative en matière de respect des droits de l’homme et de protection de l’environnement.

L’initiative « entreprises responsables » et le manque de respect
Dès lors, il est d’autant plus étonnant de voir les méthodes utilisées par les partisans à l’initiative dans leur campagne. Non seulement ils ne se contentent pas de déformer les faits pour les adapter à leur vision, non, ils franchissent largement la barrière de ce qui se fait lors des campagnes de votation et d’élections. En faisant fi de toutes les règles de respect et d’honnêteté. Vous voulez des exemples? Florilège non exhaustif récolté au cours de ces dernières semaines.

Tout le monde d’accord sur le fait que personne ne peut supporter de voir un enfant souffrir. Cela me brise donc le cœur de voir des enfants les yeux remplis de larmes en grand format dans toutes les gares et dans nos rues et de ne pas pouvoir les aider directement. Pourtant, savez-vous que ces fameuses affiches ont été truquées? Que la petite fille a été photographiée sur un terrain de sport et qu’on a ensuite modifié l’image avec Photoshop? Que cette affiche n’est qu’en fin de compte une illusion en grand format?

Il est également contraire à la moralité que les églises s’immiscent dans la campagne de votation. Les églises sont des institutions de droit public et sont donc tenues à la neutralité. N’étant pas directement concernées par le sujet soumis au vote elles ne devraient pas mener une campagne active… Or la réalité est qu’elles mènent campagne, financée en partie par les impôts ecclésiastiques, ce qui est contraire à ce qui devrait être admis. L’action des Jeunes Libéraux-Radicaux qui ont déposé une plainte contre cet activisme est juste et me rassure.

En comparaison à ces trois exemples, l’affaire qui me concerne semble être une broutille, mais elle n’est pas pour autant acceptable et reste malhonnête lorsque les initiants diffusent délibérément de fausses publicités sur les réseaux sociaux en me prêtant des propos que je n’ai jamais tenus. Qu’auriez-vous dit si on diffusait votre photo accompagnée d’une déclaration que vous n’auriez jamais cautionnée?

Il y a deux semaines, nous avons atteint un sommet en termes de malhonnêteté et d’utilisation fallacieuse des médias. En effet, afin de donner plus de poids et de crédibilité à leur cause, les initiants ont envoyé un tout-ménage avec le logo du Matin Dimanche en Suisse romande et de la Schweizer Illustrierte en Suisse alémanique, sans que les journaux concernés n’aient autorisé la reproduction de leur travail ainsi que de l’utilisation de leur logo. Outre le montant qu’a dû coûter une énième action de promotion de ce type, utiliser le logo de journaux pour faire croire que le dépliant vient d’eux est une tromperie éhontée. Il n’est pas étonnant que les éditeurs envisagent des poursuites judiciaires. Et malgré le tollé engendré par ce tout-ménage, un second a encore été distribué en fin de semaine passée, cette fois-ci avec l’utilisation du logo de la RTS et la transformation de propos rapportés pour influencer le lecteur!

Prêcher la moralité, mais en agissant de façon irrespectueuse? Non à l’initiative!
Ma conclusion est aussi tragique qu’elle donne à réfléchir. Les partisans à l’initiative brandissent le bâton de la moralité, mais eux-mêmes se fichent et font fi de l’honnêteté et du respect qui devraient prévaloir dans une campagne politique. C’est un peu comme l’initiative elle-même, en fait. Elle aussi exige le plus grand respect de la part des entreprises suisses, mais veut le mettre en œuvre en usant de méthodes qui ne pourraient pas être plus éloignées de notre compréhension du droit et de l’éthique… En conséquence, mon «NON» à l’initiative a déjà été inséré dans mon enveloppe de vote.

Enfin, nous devons tous être conscients que l’honnêteté est l’essence même de la démocratie. Surtout notre démocratie directe. Si l’État perd sa crédibilité, il perd également sa légitimité. Si les citoyens ne font plus confiance à la politique, pourquoi devraient-ils encore voter et se rendre aux urnes? Maintenons nos précieuses traditions politiques que de nombreux pays nous envient. Cultivons le dialogue et une opposition civilisée afin de pouvoir continuer à façonner notre pays ensemble. L’honnêteté est toujours la meilleure politique.

Ruedi Noser, conseiller aux États ZH

Ruedi Noser