NON aux " entreprises responsables " le 29 novembre prochain


Allons, disons-le tout haut : on a très envie de voter l'Initiative pour des entreprises responsables. Il s'agit d'humanité, du climat, des valeurs. Alors, pourquoi se reprendre, s'informer sur des conséquences, réfléchir et finir par dire non ? Parce qu'un esprit politique, s'il doit se référer à des valeurs générales inspirantes, peut aussi estimer qu'il a charge de mesurer toutes les conséquences d'une proposition. 

Il y a déjà la situation particulière de la Suisse et de Genève à considérer, dans un secteur compliqué : celui des matières premières. Il occupe quelque 30000 personnes en Suisse et plus de 7500 personnes à Genève. Les entreprises sur le négoce des matières premières dont le siège est à Genève sont les premiers contribuables fiscaux du Canton. Un exemple : la part des sociétés établies en Suisse dans le commerce mondial du café se monte à 60% . Incroyable ! On retrouve des proportions analogues avec les céréales, le métal, le sucre et, dans une moindre mesure, le pétrole. Une Société suisse, représentant toutes ces entreprises, tient à jour les statistiques. De quoi embrasser du regard le vaste domaine concerné. 

On entend la réponse. L importance de ce négoce dans notre pays plaiderait en faveur de l'Initiative. De grosses entreprises, des multinationales avec siège en Suisse n'ont-elles pas les moyens de vérifier que les exigences posées sont respectées ? La Société , citée plus haut, qui les représente n'a-t-elle pas, d'ailleurs, participé à l'élaboration des règles et principes édictés par l'ONU ? Alors, pourquoi refuser une confirmation, un pas de plus dans la bonne direction ; mettant au pas quelques mauvais joueurs ? 

Seulement voilà. L'initiative n'ouvre pas un chemin aussi simplement praticable à tous. Elle obligerait toutes les entreprises suisses, et pas seulement les multinationales, à prouver, en face d'une plainte venue d'ailleurs, qu'elles ont assumé toutes leurs responsabilités en regard des exigences. Mais pas seulement leurs responsabilités par rapport à ce qui dépendrait directement d'elles. Non, elles devraient endosser tous les actes, toutes les relations de leurs filiales à l'étranger, et aussi de ceux et celles de leurs fournisseurs. Tout cela avec une nouveauté juridique qui renverse le fardeau de la preuve. Une plainte d'un côté ; et la démonstration fouillée de l'entreprise afin de prouver son innocence. Quoi qu'en disent les auteurs de l'Initative, le Conseil fédéral, bien informé, assure que d'aller aussi loin serait une lourde particularité helvétique. 

Surtout,—-et c'est à nos yeux le point crucial—, Ce ne sont pas que les multinationales qui sont branchées sur le commerce mondial,  notamment sur le flux des matières premières. Il y a des PME suisses qui vivent de cela. Elles n'ont pas les moyens d'une défense juridique hasardeuse contre des plaintes en recourant à une équipe d'avocats. Reprenons l'exemple du café. Le négoce concerne, en amont, quelque 650000 paysans. Si tels ou tels paysans du tiers monde, en relation avec le fournisseur d'une PME suisse, ne respectent pas assez les exigences posées par l'Initiative, est-ce que l'on imagine vraiment la PME en question devoir répondre d'une plainte déposée contre elle devant un tribunal suisse ; Est-ce que  le juge helvétique devra  aller enquêter sur place ? Relevons en passant, qu'implicitement, c'est une méfiance évidente envers les juridictions de proximité dans les pays concernés. Une des figures de proue des Verts Libéraux évoque un vertueux paternalisme néo-colonial.  

On répondra, qu'en matière éthique, l'engagement doit être conçu en rapport avec  la mondialisation et l'interconnexion entre tout et tous. Soit. Mais allons y de concert et en concertation pour suivre les normes internationales. C'est tout de même excessif de marcher en avant-garde , quitte à laisser certaines de nos entreprises dans un dangereux embarras voire une impossibilité menaçant leur position concurrentielle. Les protéger contre des conséquences trop difficiles à assumer relève aussi d'un devoir à l'échelon national. Et puis il y a ce contre -projet indirect à l'Initiative, sous forme de loi, qui entrera en vigueur si elle est rejetée. Certes, il va moins loin. Mais il n'est pas du tout rien. On en reparlera alors. Finalement, si de belles intentions soutiennent l'Initiative, de bonnes raisons justifient de voter non.

Jacques-Simon Eggly

Jacques-Simon Eggly