Le drame des réfugiés et nous


Le risque des échos et des images sur les drames humains est de stimuler un certain voyeurisme, alourdi d'une épaisse couche d'indifférence. Or, être indifférent au drame des réfugiés, actuellement éjectés par le Président turc Erdogan contre les barbelés protecteurs de la frontière grecque, serait rétrécir son cœur et son intelligence. On pense même, dans un coin de sa tête, à la politique suisse durant la deuxième guerre mondiale. <La barque est pleine> est une phrase dont, avec le recul, on n'est pas très fier. Seulement voici : une fois ému, attristé, on se doit aussi d'être lucide et honnête. Faudrait-il que à Grèce ouvre toutes grandes ses portes, et puis, en enfilade, que tous les pays européens fassent de même ? Imaginez que vous soyez grec, habitant d'une île déjà submergée. Etes- vous certain que vous ouvririez les bras ? Quant à l'Union européenne, elle est divisée. La Pologne, la Hongrie, la Bulgarie, pour ne citer qu'elles, ne veulent pas recevoir de régugiés qu'elles estiment inintégrables. La CDU d'Angel Merkel paie politiquement l'accueil massif et mal contrôlé de la vague de 2015. Non, ce n'est pas simple.


L'histoire est pleine de ces problèmes, de ces crises résultant de fautes ou de mauvaises solutions politiques. On pense aux mauvais réglements issus de la première guerre mondiale. Plus récemment,il y a eu la gestion calamiteuses des événements en Libye, la désastreuse invasion de l'Irak, l'absence de toute vision et d'action concertée au début de la dérive en Syrie. Sans ces lacunes si lourdes de conséquences, on aurait peut être assuré une transition maîtrisée à Damas. On aurait peut être évité Daech, les bains de sang, les flux énormes de réfugiés désespérés. Mais avec des si… Bien sûr, l'offensive du régime de Damas, appuyé par la Russie, afin de récupérer les dernières terres qui lui échappent provoque une tragédie humaine. Demandons nous, cependant, quel régime, dans n'importe quel pays, n'essayerait pas de récupérer l'entier de son territoire. Quant à la Turquie, la question humanitaire est le cadet de ses soucis. Elle est obsédée par le risque, selon elle, d'une base arrière en Syrie pour les opposants, notamment kurdes, à son régime.


Alors que faire ? Sans doute tendre vers une concertation efficace pour trouver une solution politique et de paix en Syrie. Le manque de vision et de cohérence à Washington d'une part, la faiblesse politique et militaire de l'Union européenne d'autre part sont des facteurs de paralysie. Vladimir Poutine, lui, poursuit une stratégie russe. Avant donc une solution politique encore hors d'atteinte, il y a l'exigence humanitaire.

Peut être que la seule démarche immédiate possible serait celle-ci. Organiser , à la lisière des frontières grecques et turques, des camps de réfugiés supportables, sous l'égide du HCR, du CICR, de l'ONU peut être, avec le concours d'organisations humanitaires diverses. Il y faudra de très gros  moyens financiers et logistiques. L'Union européenne devrait particulièrement  s'engager, et la Suisse prendre toute sa part. Ainsi pourrait-on également déterminer ceux qui, sans espoir et raison d'un quelconque retour, devraient être admis comme réfugiés et répartis dans les différents pays européens ; et ceux qui pourraient éventuellement attendre afin de rentrer dans une Syrie pacifiée et en reconstruction. Illusions que ces propos ? Quelle solution proposez-vous ? Et en évitant les simplifications uniquement de bonne conscience qui crèent à leur tour des effets pervers. Oui, il faut de l'émotion, de la compassion, de l'action solidaire. Mais il faut aussi de la lucidité, une vision politique, une action équilibrée.

Jacques-Simon Eggly

Jacques-Simon Eggly