Ce que disent les sous-marins et avions

La France est fâchée et s’emporte contre la fourberie de l’Australie, le manque de respect et l’esprit hégémonique des Etats-Unis, l’opportunisme bien connu de la Grande Bretagne. Comme on la comprend. Mais comme cela donne la mesure du poids des acteurs actuels dans les enjeux mondiaux. Depuis 1940, la France seule, malgré le sur- jeu d’un prestigieux de Gaulle, n’est plus un acteur principal des équilibres géo-stratégiques. La victoire de 1918 fut la dernière salve réunissant une réalité et l’illusion. Dur à encaisser pour la France et ceux qui l’aiment envers et contre tout. 


Mais oui la France a raison d’exprimer son dépit et sa colère, soutenue, verbalement, par d’autres pays européens et les autorités de l’UE. Pacta sunt servanda, apprend-on en faculté de droit. Un contrat signé doit être respecté. Le Gouvernement Australien justifie sa volte-face par des raisons de sécurité dans la région, face à la Chine dont la menace s’est accentuée et précisée durant les dernières années. Ainsi, les sous-marins français projetés, à propulsion classique, seraient moins performants, rassurants, que les sous-marins nucléaires promis par les Américains. Et la Grande Bretagne mettra à disposition sa technologie dans le domaine. Et puis, quand même, on se parle anglais, avec des racines culturelles communes...


La justification rencontre l’ironie française. Les sous-marins américains seront à disposition des Australiens un bon nombre d’années plus tard. Et tout porte à croire que leur maniement nécessitera des Américains aux commandes. Donc, adieu l’indépendance, bonjour un lien de vassalité renforcé. Soit, mais la réponse tient au pari que la Chine ne va pas passer à court terme de la pression à la guerre, et que l’annonce de cet arsenal à moyen terme est déjà dissuasif. En effet, la Chine, probablement inquiète de ce retour d’influence américaine, a tout de suite protesté. 

Quoi que l’on pense, sur le fond, du revirement australien et d’une manière de faire très déloyale, on doit prendre acte du fait que seule l’Amérique, tristement libérée du fardeau afghan, offre l’image d’une protectrice crédible en cas de choc militaire frontal avec la Chine. Ce serait dans cette région, dans ces mers chaudes que se concentreraient les risques les plus grands. Plus en Europe; la Russie n’étant plus une super-puissance terrifiante. Encore que....En effet, des pays de l’UE, naguère dans le giron soviétique, continuent de ne voir que dans les États- Unis  la suprême garantie.


Et l’Europe a-t-on envie de crier. Autour de la France et de l’Allemagne, ne pourrait-on pas construire une véritable Europe de La Défense? Si l’Europe doit exister et peser sur la marche du monde, ne faudrait-il pas enfin articuler un tel volet militaire?  Micheline  Calmy Rey n’y croit pas et suggère à l’Union européenne une position de Neutralité active à la Suisse; jouant un rôle de référence et de disponibilité au service des valeurs, du droit, de la paix. Pas réaliste aux yeux de son contradicteur en débat, François Hollande. L’Europe ne pèsera vraiment qu’avec un poids stratégique. Alors, l’impasse, étant donné que les membres de l’UE n’ont pas de vision commune à ce sujet? On en revient à l’idée d’une Europe à plusieurs cercles, un noyau motivé de pays membres se regroupant pour construire un ensemble politique et militaire faisant le poids. Seulement, il y faudrait un certain renoncement à la stricte autonomie nationale. La France, la première, n’y est par prête.


Toutefois, l’histoire a des accélérations mais aussi un temps long. Peut-être que l’on verra une évolution. Peut-être que, les États Unis montrant de plus en plus que l’Europe n’est pas leur priorité, celle-ci trouvera la volonté et l’énergie de s’inventer une identité militaire crédible.
Un mot enfin sur la Suisse. Nous n’aurions jamais voté pour François Hollande. Mais ce qu’il dit sur le choix du Conseil fédéral d’acheter un avion de combat américain est très juste. Nous allons dépendre d’un partenaire lointain, assez imprévisible, pouvant cesser de fournir les pièces essentielles à notre flotte aérienne. Surtout, au moment où nous avons déjà commis l’erreur d’enterrer l’Accord cadre, nous diminuons encore un courant d’empathie avec nos partenaires européens, la France au premier chef, dont nous avons pourtant bien besoin à maints égards. L’achat de cet avion ne devait pas répondre à des critères uniquement d’évaluation technique. Une Suisse évoluant en danseuse sur la ligne de touche du terrain de l’Europe aurait dû faire intelligemment, instinctivement un choix aérien européen. Car, même sans plus de prééminence dans le monde, l’Europe est notre famille.

Jacques-Simon Eggly

Jacques-Simon Eggly