Banaliser le mot liberté

Lorsque l’on aime quelque chose, lorsqu’il constitue un socle de votre engagement politique, on s’irrite d’autant plus de voir cette référence utilisée à mauvais escient . Ainsi en est-il du mot liberté brandi comme un slogan contre les autorités à propos de la loi et des mesures anti Covid. On a même voulu et entendu, ,—le pas de l’indécence étant franchi,—certains excités évoquer l’étoile jaune imposée au Juifs dans les temps monstrueux. Certes, à l’instar de Voltaire, sous  réserve de limites graves à ne pas franchir et qu’il ne faut jamais trop resserrer, on doit se battre pour que des opinions qui vous déplaisent aient le droit d’être exprimées. La liberté d’expression est une valeur fondamentale à défendre. Mais alors, on a le droit et surtout le devoir de dénoncer ceux qui défigurent les mots. 

Non, avec ses mesures de protection contre le virus, la Suisse n’est pas tombée dans une dictature. Non, on n’a pas versé dans une chasse aux sorcières pourchassant ceux qui ne veulent ni des gestes barrières, ni les masques ni surtout les vaccins. Il y a, simplement, des prises de décision comportant des désagréments indéniables afin de venir à bout d’une pandémie. Tous les pays du monde sont impliqués; la question principale tenant à un meilleur partage des vaccins entre eux. Bien sûr, il n’y a pas la voie parfaite contre le chemin empoisonné. Il y a des gens qui font des réactions au vaccin. Il y en a même qui  doivent manifestement l’éviter. Être vacciné ne garantit pas de ne pas attraper le virus. On peut en être porteur , sans dommage pour soi mais en le transmettant. Tout cela a été expliqué Mais on doit prendre un peu de hauteur et avoir une approche générale. Malgré ce que prétendent les  dissidents, la plupart des acteurs médicaux se retrouvent  sur un constat vérifiable: les non vaccinés sont les patients qui  subissent le plus gravement le virus. Ce sont eux , très majoritairement sinon souvent exclusivement, qui se retrouvent aux soins intensifs, mobilisent médecins et soignants, occupent excessivement les espaces hospitaliers. On nous dit que ce n’est pas vrai, que des salles ont mêmes été fermées. Mieux vaut croire les responsables directs dans les hôpitaux. Il y a eu surcharge en maints endroits, fatigue du personnel médical poussant aux arrêts maladie. Or, surtout dans la période qui s’annonce, il n’y a pas que le Covid. Il s’agit d’offrir des soins médicaux et hospitaliers à la population en regard de toutes les affections et maladies qui sont les dangers habituels. Bref, en un mot comme en cent , les mesures requises afin de diminuer les cas graves de Covid et, à terme, d’en faire une menace limitée et maîtrisable sont indispensables. Non seulement les autorités on le droit de les imposer; elles en ont le devoir. 

N’allez pas dire à un Libéral qu’il est insensible aux conséquences pénibles pour les acteurs de l’économie, surtout les acteurs de proximité: restaurateurs, petits commerçants, patrons de lieux culturels, festifs et autres. Oui, certains conséquences pour certains font mal au coeur. Dès que l’on pourra,  que l’on jette toutes ces entraves par dessus bord! Mais quand on le pourra. Il y faudrait un taux de vaccination plus haut, dont on n’est pas encore assez proche. D’ci là, l’exigence du pass sanitaire vérifiant la vaccination est légitime, comme le masque dans des contextes définis et des interdictions de rassemblement le cas échéant. Sans doute est-il possible de se faire vérifier constamment afin de prouver que l’on est négatif. Cette manière de remplacer le vaccin n’est pas des plus pratiques. 

Dictature? Discrimination intolérable? Désignation indigne de pestiférés? Allons donc! Si tel était le cas, on pourrait, par exemple, refuser l’hospitalisation à ceux qui ont refusé le vaccin. On a entendu cela. Il n’en est évidemment pas question. Cela contredirait nos valeurs de solidarité et le devoir d’offrir des soins à tous. En revanche, que les non vaccinés ou les non porteurs d’un certificat quasi quotidien prouvant l’absence de virus, ou les non porteurs de masque dans les contextes définis soient interdits d’entrée dans les cafés, restaurants, cinémas et autres lieux, interdits  de participation à des événements: voilà qui n’a rien de choquant. Il n’y a pas d’obligation vaccinale, soit. Mais que les réfractaires voient leur vie quotidienne très désagréablement entravée: c’est le prix de leur choix individuel contraire à l’intérêt général. 

Dans d’autres pays, les gouvernements peuvent forcer autoritairement la démarche.. Pas en Suisse où la démocratie est au coeur de notre vie publique. Si le peuple devait refuser le projet de loi Covid, eh bien on fera avec les contamineurs et les contaminés. Si le peuple donne mission aux autorités de prendre les mesures adéquates, eh bien les récalcitrants devront se plier à la décision démocratique. Il y a, dans le monde, des gens torturés, éliminés pour avoir défié des dictatures. Chez nous, la liberté individuelle large, —et qu’il faut défendre certes au quotidien—, ainsi que la  participation de chacun aux débats démocratiques sont des privilèges formidables. Elles méritent le respect, même lorsque les décisions prises vous contrarient. A certains moments, se réclamer de sa liberté personnelle et dénoncer une dictature: cela contre un intérêt général de santé publique  largement perçu comme tel, résonne comme une insulte aux martyrs de la liberté.  

 

Jacques-Simon Eggly

Jacques-Simon Eggly